mercredi 21 septembre 2011

Conte : Des Animaux et des Queues (et un Syndicaliste, et Dieu)

À la base, il s'agit d'un conte africain que j'ai lu il y a bien longtemps, dans un recueil de contes et légendes qu'on m'a offert lors d'un séjour à l'hôpital, lorsque j'étais enfant. Cette histoire racontait comment les animaux ont eu des queues. Bé oui : faut bien qu'elles viennent de quelque part !, comme les Cloches de Pâques hein...

Beaucoup de ces contes africains revenaient sur la même thématique : trouver une explication à l'état du monde (pourquoi le Zèbre est rayé ? Pourquoi le Soleil devient rouge en se couchant ? Pourquoi la Lune disparait et réapparait ? Pourquoi le Serpent rampe alors que l'Aigle vole ? etc... on retrouve également cette thématique récurrente dans les contes et légendes des Indiens d'Amérique).
Ça m'avait marquée, parce que dans les contes européens que j'avais lu c'était plutôt : pourquoi papa et maman nous abandonnent dans la forêt ? Pourquoi mon père veut se marier avec moi ? Pourquoi mon mari veut me trancher la tête ? Pourquoi j'ai pas vu que ma grand-mère en fait c'était un Loup ?
Et bien sûr : pourquoi il faut rentrer du bal avant minuit ?
(parce qu'après il n'y a plus de métro, idiote. Et faire du Vélib en robe de bal, hein... ben c'est comme ça qu'elle a perdu sa pantoufle de verre, d'ailleurs.)

Enfin bref... Je vous raconterais bien ce conte tel que je m'en souviens, mais j'aurais grande peur de trahir le texte d'origine. Aussi, plutôt que de le trahir, je m'en vais le revisiter.
Z'allez avoir droit à un conte africain version La Bonne Fée, avec un supplément sauce syndicaliste : si c'est pas l'apogée, que dis-je ?, la quintessence du multi-culturalisme ça !
Oui allez, multiculturez-vous un peu.


Des Animaux et des Queues
(et un Syndicaliste, et Dieu)

Vous vous êtes déjà sans doute (aucun !) demandé pourquoi les Lapins avait une toute petite queue touffue ? (mais si, vous vous l'êtes déjà demandé)
Voici la réponse.

Dieu venait de finir le Monde.
(oui bon désolée hein, c'est pas de ma faute si Darwin ne s'est jamais invité dans les contes africains, ni même occidentaux, d'ailleurs)
Tout était à sa place, les rivières et les océans, les dunes de sable et les montagnes, les forêts et les jungles, les animaux, les arbres, les plantes et les fleurs... Et tout était parfait. Ou presque.
Car il faut savoir qu'à l'époque, les animaux n'avaient pas de queues. Or, les Mouches n'arrêtaient pas d'aller emm... asticoter les autres animaux : ceux-ci, dépourvus de queues, ne pouvaient que fuir les Mouches, ou subir passivement leurs vrombissants et incessants assauts.
Les Mouches se marraient comme des Baleines (oui, non, enfin... bon), mais les autres animaux, eux, ils étaient au bord du petit-suisside.

"Ça suffit, camaraaades !" s'écria Gégé, l'Ours syndicaliste de la bande (note : en effet, il n'y a pas d'Ours syndicaliste dans le conte africain d'origine).
Les animaux, qui entretemps s'étaient réunis en AG dans la forêt, n'avaient de cesse de se plaindre des Mouches qui leur pourrissaient l'existence. Ils décidèrent d'aller voir Dieu (facile : Gégé, cadre du syndicat, avait quelques contacts dans les hautes sphères) pour lui soumettre leur problème de Mouches, et lui demander de l'aide.

Après avoir reçu et écouté la délégation d'animaux, Dieu prit un court instant pour réfléchir (il réfléchit très vite, c'est Dieu, il a un skill de ouf) puis annonça :
"- Écoutez-moi, j'ai la solution : dans une semaine vous reviendrez ici et je vous donnerai des queues !
- Des queues ??! demandèrent les animaux.
- Oui oui, des queues ! Z'allez voir c'est vachement sympa : c'est comme une liane que vous pourrez diriger et agiter en tous sens pour chasser les Mouches !
- Trop fort, chef !" répondirent les animaux, et hop : rendez-vous était pris la semaine suivante (le temps de créer quelques magnifiques modèles) pour la fameuse distrib' générale de queues.

Le Jour J, ou plutôt le Jour Q(ueue) arriva.
Tous les petits et grands, jeunes et vieux animaux s'étaient donné rendez-vous Place de la République à 14h, au carrefour de la Forêt de l'Intersyndicale Poilue et de l'Abîme du Consensus, pour aller tous ensemble à la distrib' de queues.
Tous... sauf le Lapin, qui lui roupillait tranquille dans son hamac, loin du boucan du camion-sono du cortège qui beuglait :
"Qu'est-ce qu'on a ?
Des droits !
Qu'est-ce qu'on veut ?
Des queues !"
(tsss... à croire que c'est le NPA qui s'occupait déjà des slogans à l'époque)

Enfin bon voilà, y'a tout le monde qui part à la distrib' de queues, et l'autre feignasse de Lapin il reste là à faire la sieste...
Un groupe d'animaux cagoulés et tout de noir vêtus - qui, on ne sait pour quelles raisons... s'était éloignés du cortège principal et passaient non loin de là, bières à la main et pavés dans le sac à dos - tente de l'avertir :
"- Hé oh compagnon Lapin ! Réveille-toi ! C'est l'heure de la distrib' de queues !
- Ouais ouais ! Partez devant, j'arrive !" répondit le Lapin en somnolant.

Un deuxième groupe d'animaux - qui tapaient frénétiquement sur des djembés et jonglaient avec des quilles, tiens donc, des hippies - passe par là :
"- Bah alors camarade Lapin, qu'est-ce que tu fous ?! Allez viens avec nous chercher ta queue !
- Pour sûr je viens ! Laissez-moi deux minutes, je vous rejoins." dit le Lapin en se rendormant.

Un troisième groupe d'animaux passe. Fait étrange, ils sont habillés tout en bleu marine et portent une tenue anti-émeute :
"Contrôle d'identité ! Debout là-dedans, et qu'ça saute !"
À ces mots, le Lapin bondit de son hamac et s'enfuit à toutes jambes (oui oh, à toutes pattes, on va pas chipoter), esquivant de justesse un tir spidermanesque de Taser. En chemin, il croise tous ses amis les autres animaux, ornés de magnifiques queues toutes plus belles les unes que les autres ! Des queues en tire-bouchon, des queues en panache, des queues basses, des queues hautes, des queues poilues, des queues toutes nues...
"Merde, la distrib' de queues !!" se souvient alors notre petit Lapin, et il bondit de plus belle, espérant ne pas arriver trop tard.

Mais... trop tard.
Lorsque le petit Lapin arrive, tout le monde est déjà parti rendre les camions de location de la manif, et la distrib' de queues est finie depuis longtemps.
Il ne reste que Dieu, qui est là à passer le balai.
(car les aspirateurs n'existaient pas encore, pas plus que les techniciens de surface en contrat précaire)

"- Je sais, je suis très en retard... mais ne reste-t-il plus rien ? demande le Lapin.
- Non, plus rien du tout. Ca a été la razzia ! Comme sur le stand de bières au chanvre à La Fête de l'Huma. Désolé mon p'tit gars." répondit Dieu.
À ces mots, notre pauvre petit Lapin explose de tristesse et de désespoir :
"Bouuuhooooouuhouuuhhaaaaaaaahhaaaaâââââhhhh !! (snurfl) Tout l'monde a une queue sauf moooooooooiiiiiiiiii.... (re-snurfl) Qu'est-ce que je vais faaaiiiiiiire maintenant ?..... Naaaaaaaaaann......!!!!!!! (snif snif snurfl)"

Le cœur de Dieu est touché (et ses tympans vrillés) :
"Mon pauv' petit bonhomme... mais on t'avait prévenu qu'il fallait être là à la distrib' de queues ! Tsss... Bon, t'en fais pas, j'vais essayer de te dégoter quelque chose va !"

Et Dieu se met à fouiller, fouiner, farfouiller partout à la recherche de quelque chose qui pourrait faire office de queue pour notre petit Lapin. Il s'avère que les animaux avaient tous laissé des poils en passant - c'était la cohue là-dedans pendant la distrib' de queues - et il y en avait quelques touffes de-ci de-là, coincées entre les planches en bois de la case.
Dieu entreprit de les ramasser, les réunissant soigneusement, et se frottant les mains, en fit une boule. Il attrapa le Lapin par les oreilles (d'où une légère excroissance de cette zone depuis - c'est que Dieu a la main lourde parfois), puis lui colla cette petite boule de poils touffue au derrière.

"- Mais je vais jamais réussir à me débarrasser des Mouches avec ça ?! rétorqua le Lapin.
"- Oh hé ! Ben tu utiliseras tes oreilles, voilà ! Déjà que t'étais grave en retard à la distrib' de queues, maintenant que t'en as une tu vas pas te plaindre !"
Le Lapin baissa la tête et fronça les sourcils ; il était terriblement déçu, un peu humilié, et surtout en colère. Imaginez-vous : dans l'affaire, il avait gagné des oreilles démesurées, et la plus petite queue du monde... y'avait de quoi l'avoir mauvaise, pour sûr.
Mais il savait que Dieu avait raison - sur ce coup-là. Le Lapin se raisonna, et comprenant qu'il était seul responsable de son malheur, il finit par remercier Dieu pour son geste.
Puis il s'en retourna chez lui, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, bondissant gaiement avec sa jolie petite queue touffue au cul.

Et c'est ainsi que depuis, tous les Lapins une petite boule de poils touffue en guise de queue !



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"Si une patte de lapin porte bonheur, qu'a-t-il bien pu arriver au lapin ?"
Jean-Loup Chifflet, extrait de Réflexions faites... et autres libres pensées

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