mardi 8 octobre 2013

Nouvelle - Le Cauchemar

J'aime beaucoup écrire. Ça aide quand on tient un blog, hein. Bref j'aime beaucoup écrire, mais la plupart de mes textes, principalement des nouvelles, je les publie peu - voire pas du tout. Ils gravitent autour de sujets pas trèèèès joyeux - et je ne voudrais pas flinguer mon e-reputation de meuf fée trop lolante sous son air abrupt d'ours stalinien en Doc Martens et en tutu rose.

D'un autre côté, plus la mort se rapproche inéxorablement putain-mais-l'horreur-on-va-tous-mourir-un-jour-si-c'est-pas-l'angoisse-quand-on-y-pense plus le temps passe, plus je me dis qu'il ne sert pas à grand chose de laisser ces textes, mes textes, dormir dans mes archives.
Ça ne sert pas non plus à grand chose de les publier sur mon blog me direz-vous, et à juste titre d'ailleurs ; mais faire des choses inutiles est l'une de mes principales activités, pour ne pas dire la seule. Y'a des gens doués pour ça et puis c'est tout.

Je publierai donc de temps en temps certains de mes textes ici. Les problématiques qu'ils abordent sont assez délicates, et par conséquent ils ne sont pas recommandés aux lecteurs ou lectrices particulièrement sensibles ou vulnérables à la violence, la pédophilie, le viol, la mort, les corps en souffrances, les esprits tordus, les monstres, la torture, la perversion (au sens clinique comme au sens commun du terme), et tout un tas d'autres sujets similairement glauques qui me passionnent.
Notez que j'aime aussi les petits lapinous, les chatons, les Harvest Moon (oui les Silent Hill aussi... mais chut), l'émission Top Chef, et les double rainbows (même si, comme toute personne de bon goût, je préfère les aurores boréales), bien que j'écrive beaucoup plus rarement sur ces sujets. Et encore plus rarement sur tous ces sujets en même temps.


***

Le Cauchemar


Il avait la trentaine. Elle avait 6 ou 7 ans. Il était infirmier. Elle était hospitalisée dans le service où il travaillait. Il était gentil et souriant. Elle faisait des cauchemars où il la poursuivait dans des sous-sols sombres.

Quand elle pense à lui, elle ne se souvient pas de grand chose. Elle ne se souvient de rien de grave. Elle ne se souvient de rien de bien, non plus.

Elle est dans une chambre d'hôpital. Elle a un plâtre qui va du pied jusqu'au thorax. Elle est à plat ventre, sur le lit ; elle ne peut pas bouger. Elle est cul nu. Les fesses à l'air, pendant qu'il prodigue les soins : changement de la perfusion, lotion et massage anti-escarres. Talons, fesses
La grande sœur de la petite fille est là. Elle discute avec lui. Ils plaisantent, rient. Ils discutent, encore. Ils se sourient. Beaucoup. Ils se plaisent, échangent des regards complices.
La tête posée contre le matelas, la petite fille attend que leur discussion interminable prenne fin, enfin. 

Quelque chose ne va pas. C'est diffus, imprécis, impalpable, vague. Et oppressant. Elle se sent mal à l'aise. Puis commence à se sentir mal, tout court.
Peut-être parce que deux adultes négocient un plan cul à 70 centimètres à peine au-dessus de son cul à elle, qui est toujours nu et à découvert durant tout ce temps. Peut-être parce qu'elle est jalouse de sa grande sœur. Peut-être parce qu'elle est quasi-momifiée dans un plâtre lourd, à plat ventre, et que c'est une posture parmi les plus inconfortables qui soit. Peut-être un peu pour tout ça. Ou peut-être... pour rien.

La grande sœur s'en va.
Pas lui.
Il est de garde. Toute la nuit.


Les cauchemars ont commencé. La peur a commencé. Les nausées ont commencé.
Sans jamais pouvoir se les expliquer. Elle ne savait pas pourquoi elle faisait ces cauchemars qui la terrifiaient. Elle ne savait pas pourquoi elle était si angoissée quand il était là. Elle ne savait pas pourquoi elle éprouvait du dégoût lorsqu'il l'approchait ou lorsqu'elle pensait à lui. Elle ne savait pas pourquoi son parfum la rendait malade. Elle savait juste qu'elle devait l'éviter. L'éviter absolument. Aussi absolument qu'il lui était impossible de l'éviter tout le temps.

Quelques jours plus tard, elle est transférée dans un autre service. Celui dans lequel il travaille et celui dans lequel elle se rend sont à l'opposé l'un de l'autre au sein de l'hôpital, et très éloignés. La délivrance.
Elle retrouve les infirmières qu'elle connait et qui sont de secondes mamans, les brancardiers qui ont toujours une nouvelle blague à raconter ou une nouvelle chanson à fredonner, les gamins du service qui jouent, se chamaillent, se rabibochent en échange d'un dessert. 


Deux semaines. 
Deux semaines plus tard, il est .
Elle l'aperçoit. Sent une vague chaude envahir son corps. Reste figée sur place, en posture défensive. Pourvu qu'il ne me voit pas, pourvu qu'il ne me voit pas, pourvu qu'il ne me v... Il vient à sa rencontre ; lui sourit quand il lui annonce qu'il a demandé à changer de service, et que désormais il travaillera ici. Que désormais, il pourra la voir - tous les jours. Il lui sourit de plus belle. Son regard.
La vague chaude, encore. L'envie de vomir.

Il tourne les talons et retourne bosser. Une ribambelle de mômes l'entoure déjà. Dans le précédent service, tout le monde l'aimait. Et ici, tout le monde l'aimera aussi. Il est joyeux, drôle, gentil. Il est très beau. Toutes les femmes lui courent après. Toutes les petites filles sont amoureuses de lui et veulent se marier avec lui plus tard.
Pas elle.


Les cauchemars, toujours. Le même, toujours. Elle est dans les sous-sols de l'hôpital. Il la suit. Un bruit de feuilles mortes écrasées accompagne ses pas. Elle l'entend : il marche plus vite. Elle avance plus vite. Plus elle avance, plus il se rapproche. Il se rapproche. Il se rapproche. Il se rapproche.


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"D'être hanté par mes vieilles obsessions, cela me rassure. Mieux vaut un cauchemar apprivoisé que la blessure à vif d'un souvenir récent."
Daniel Sernine, Quand vient la nuit

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