dimanche 8 mai 2016

La Grossesse Aux Merveilles : Devenir parents ou non, telle est l'angoissante question

(Si vous avez raté le début => La Grossesse Aux Merveilles : Prologue)

Je ne savais pas si je voulais des enfants ou non.

Je n'ai pas d'argent, un handicap assez important, un logement trop petit, et un passé qui, sans rentrer dans les détails, est suffisamment difficile pour que j'estime mériter passer le reste de mes jours à glander sur des plages cubaines en sirotant des mojitos à la menthe bio et en admirant une statue érigée en hommage à ma glorieuse et héroïque résilience. À défaut – ou plutôt en attendant – je me contentais de profiter de la moindre opportunité pour glander, jouer, manifester, lutter, jouir, dormir, m'amuser, me reposer, et soigneusement éviter toute contrainte, comme jadis le nuage de Tchernobyl évita la France (ou presque).

Or, avoir des enfants, c'est une contrainte. Une montagne de contraintes. Un tsunami de responsabilités. Un investissement personnel, physique, mental, financier, de chaque instant. Sans droit à l'erreur. Sans retour au SAV, ni échange, ni remboursement. C'est terrifiant. 

Je n'avais pas peur d'être une mauvaise mère ou de ne pas assurer ; c'est le contraire : je savais que si j'avais des enfants je m'y consacrerais autant que possible, que mon "animalité" (que je chéris tant) m'imposerait de prendre soin de ma progéniture, et que ma culture méditerranéenne sanctifiant la famille et le foyer parachèveraient le tableau.
Mais j'avais vu trop de femmes épuisées, effacées, laminées, bouffées par "leur rôle de femme" et de mère. Avais-je envie de vivre ça ? Certes, on peut aussi – comme nombre de parents de nos jours – foutre son bébé à la crèche le plus tôt possible, ou confier son éducation à des nounous, puis l'expédier fissa à l'école (et si possible en internat !), l'inscrire au foot ou à la danse le week-end et l'envoyer chez mamie pendant les vacances, et lui offrir pour ses 18 ans un sac à dos et un billet de 50 euros dans une enveloppe sur laquelle on aura écrit "Bonne chance !", avant de lui claquer la porte à la gueule. Mais voilà, pas de bol : c'est pas du tout ma manière de concevoir ce que doivent être des parents.

Bref, je sentais bien que si j'avais un jour des enfants ce serait du boulot, beaucoup de boulot, et un boulot que je ne confierais sûrement pas à d'autres. Sauf que moi, le boulot, heu.. 


J'avais éludé, retardé autant que possible le moment d'avoir un enfant, ou non. Je suis tombée enceinte quatre fois avant de me décider. La première fois, une fausse couche. La seconde fois, j'ai avorté. La troisième fois aussi. Mais chaque fois, il m'était de plus en plus difficile de dire non à la maternité. Chaque fois, je m'en voulais d'être tombée enceinte puis de foncer au CIVG parce que j'avais finalement la trouille d'assumer un enfant. J'étais dans une ambivalence dont je ne me sortais pas ; je voulais un enfant, tout en paniquant à l'idée de ce que cela impliquait. Plus le temps passait, plus la pression était grande : l'âge avance, "l'horloge biologique tourne", il me fallait donc faire un choix. Un choix que je refusais de faire.

La quatrième fois, je soupçonne divers dieux, le destin, mon corps et mon inconscient d'avoir ourdi un complot visant à me mettre au pied du mur.


Le choc.
Le coup de pelle dans la tronche.
Sous la forme d'une échographie révélant une grossesse d'environ 4 mois, et deux fœtus parfaitement formés. Je me souviens que je trouvais déjà leur colonne vertébrale et leur cage thoracique très jolies ! On peine à croire qu'un organisme si petit puisse déjà être si "élaboré" ; j'étais fascinée par leurs côtes, leur finesse et symétrie, leur "harmonie".
Mais j'étais aussi paniquée.
J'hésitais déjà à avoir UN enfant, alors DEUX d'un coup, je, heu.. et bien pour commencer je ne savais même pas si mon corps le supporterait.

Ainsi mise au pied du mur, il me restait néanmoins encore une échappatoire : l'interruption médicale de grossesse (IMG). (ou un voyage en Angleterre financé par crowdfunding..)


« Voulez-vous mourir, ou tuer l'un des jumeaux, ou les deux, ou pas ? »

Bonnes questions.
Une grossesse gémellaire était fortement contre-indiquée avec ma maladie (ostéogenèse imparfaite sévère) et mon état de santé. Je cumulais des risques hémorragiques, respiratoires, et d'accouchement prématuré très élevés. Et si les jumeaux naissaient trop prématurément, ils risquaient de ne pas y survivre, ou pas sans d'éventuelles lourdes séquelles. En outre, nous ignorions à ce moment là si les jumeaux étaient atteints de ma maladie ou non. Si c'était le cas, ça compliquerait encore davantage leur prise en charge médicale et leurs chances de survie.

Des "spécialistes" de ma maladie ont recommandé l'interruption médicale de grossesse. Mon gynécologue-obstétricien m'a transmis le message, expliqué les risques, et proposé une IMG.

J'ai demandé : « Quelles chances j'ai, statistiquement, de m'en tirer ? Et les bébés ? Comment ça s'est passé pour les autres patientes dans le même cas ? »
On m'a répondu : « On ne sait pas, il n'y a pas (eu) d'autres femmes dans votre cas. » 
Ou plutôt si, il y en avait eu, nécessairement, je ne pouvais pas être la seule ou la première femme atteinte d'ostéogenèse imparfaite et enceinte de jumeaux. Mais les autres, elles, soit elles avaient un degré de maladie bien moins sévère que le mien et la poursuite d'une grossesse n'était donc pas inquiétante outre mesure, soit elles avaient préféré avorter d'un fœtus voire des deux en recourant à l'interruption médicale de grossesse. Résultat : aucune femme atteinte d'ostéogenèse imparfaite sévère n'avait mené à terme de grossesse gémellaire. Nous n'avions donc pas de données auxquelles nous référer. Mes questions ne trouveraient pas de réponses.

Et moi, qui avais déjà bien du mal à choisir si je voulais des enfants ou non, il me fallait maintenant choisir de risquer ma vie ou de sacrifier la leur. Sympa. Bonne ambiance. Zen. 


Certes, j'avais déjà avorté. Mais justement, j'avais déjà avorté : à un stade bien plus précoce. Avorter d'un fœtus de 2 mois, ce n'est pas comme avorter d'un fœtus de 4 ou 5 mois, ni psychologiquement ni physiquement. 
En France, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est possible jusqu'à 14 semaines. Mais l'interruption médicale de grossesse (IMG) est possible jusqu'au terme, on peut donc avorter d'un fœtus qui est déjà de bonne taille, comparable aux prématurés, voire complètement développé.

En outre, l'IMG m'a toujours posé problème au niveau éthique (lire par exemple l'article Les zones grises de l'euthanasie fœtale et L'avortement tardif et les infanticides néonataux en Europe). Quand il s'agit d'interrompre une grossesse mettant en danger la vie de la mère (c'était mon cas) ou qui, par exemple, donnerait naissance à un bébé anencéphale promis au mieux à une lente agonie, je peux le comprendre. Mais l'IMG est, de nos jours, proposée ou demandée pour des fœtus atteints de pathologies non mortelles ou tout du moins bien moins graves. On peut légitimement se demander si 96% des trisomiques dépistés avortés, c’est pas de l’eugénisme ?
Et on peut se le demander à propos de bon nombre de pathologies.

Bref. Je suis là, paniquée à l'idée d'avoir des jumeaux, paniquée à l'idée d'y rester, paniquée à l'idée de les sacrifier, paniquée à l'idée de les garder, paniquée à l'idée de les garder mais qu'ils ne s'en sortent pas, et paniquée à l'idée de devoir FAIRE UN CHOIX, là, maintenant, fissa. Certes, l'IMG est possible tout au long de la grossesse, mais le plus tôt est le mieux. 

Je ne savais pas quoi faire. J'étudiais – en accéléré – toutes les options.
Poursuivre la grossesse ("Mais comment tu vas faire avec des jumeaux ?!"), au risque d'y laisser ma peau ou celle des bébés.
Avorter de l'un des jumeaux, pour augmenter mes chances de survie et celle du fœtus restant. Et on choisit comment, on tire au sort qui doit vivre ou mourir ?
Avorter des deux fœtus. Et probablement ne jamais m'en remettre.

Alors j'ai écouté un peu tout le monde. Les médecins. Mon compagnon. Ma mère. Mes abonnés sur Twitter. Les résultats de recherche sur Google. Et finalement, mon corps. Je me suis dit un tas de trucs stupides – ou pas – comme : si je n'ai pas fait de fausse couche, c'est que ça va ; si mon corps a "permis" une grossesse gémellaire, c'est qu'il peut y arriver ; si non c'est vraiment un truc de bâtard, hein, quand même. (ouais mais les trucs de bâtard ça existe, et si ça te tombe dessus ?) (ah putain..) (ben ouais) (chut, ta gueule)

Et j'ai refusé l'IMG. J'ai, finalement, (enfin) fait le choix de devenir mère et de poursuivre la grossesse. 


1 commentaire:

  1. Merci pour la beauté de tout ce que vous transmettez. Avec tendresse. Lili Eve

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