mercredi 30 juillet 2014

Tour de magie : Gaza fait disparaitre les problèmes sociaux

« Un twit de Farah Baker vous fait passer nos indignations quotidiennes pour minables et égoïstes. Encore une facture à payer. Encore l’essence qui augmente. Encore l’État qui impose le travail. Encore les nationalistes qui nous insultent. »
PARDON ?

Tous les tweets de Farah Baker, tous les journaux d'Anne Franck, tous les témoignages d'opprimé-e-s à travers le monde ne me feront jamais oublier que nos luttes convergent et que nos difficultés et drames proviennent des mêmes pourvoyeurs de mort, de drones et d'armement, de pollution, de pillage des ressources, d'exploitation des populations, de chômage et de précarité.



Pensez-vous qu'un habitant de Gaza s'en fout des factures à payer ? Du prix du carburant ? De la précarité ? Du chômage ? De la corruption ? Du nationalisme et ses dangers ? Pensez-vous que la petite sœur de Farah, si elle survit, s'en foutra ? Les habitants de Gaza vivraient donc dans un monde parallèle où ils n'auraient aucun autre besoin que celui de continuer à respirer ?
Pensez-vous que le droit d'un être humain à SURvivre suffit, et que tout le reste n'est que broutilles ? Ne pas pouvoir payer ses factures ou ne pas trouver de vernis à ongles assorti à sa tenue, même combat futile ?

Quel étonnant paradoxe que voici : au nom de l' "humanisme", la précarité, le chômage et le danger nationaliste deviennent « des indignations quotidiennes pour minables et égoïstes. »

Je rappelle que nombre d'acquis sociaux ont été obtenus de haute lutte, et aussi dans le sang. Par des poignées de « minables et égoïstes » mus par la volonté d'améliorer leur sort et celui des populations, et qui ne se sont pas contentés d'être en vie et heureux d'être exploités, comme leurs oppresseurs les y invitaient. Et comme l'auteur du billet précédemment cité les y invite également.



Enfin, j'ajoute que si pour certain-e-s d'entre vous la réalité que décrit Farah est une nouveauté, un scoop, une révélation mystique, en revanche la guerre ça n'a RIEN de nouveau (encore moins en Palestine). Les irakiens vivent la même chose. Les syriens vivent la même chose. Les maliens vivent la même chose. Bien d'autres personnes ont vécu ou vivent aussi la même chose, même si leurs tweets ne parviennent pas jusqu'à vos écrans de télé, de PC, de tablette ou de smartphone. 
Et il n'y a pas que la crainte de mourir bombardé ou massacré dans les prochaines heures qui affecte les individus et les populations.
Les drames sont nombreux : famines, expulsions, manque de soins et de traitements médicaux, accidentés de la route, tsunamis, inondations, incendies, catastrophes industrielles, pollutions et contaminations diverses, chômage, délinquance et criminalité, précarisation, alcoolisme, violences, épidémies, liste non exhaustive.

Il y a des millions de Farah, de tous âges, tous sexes, tous horizons, qui souffrent terriblement dans le monde. Partout. Tout le temps.
Que proposez-vous ? De les hiérarchiser ? De comparer nos malheurs, en nous gardant bien de nous plaindre des puissants qui nous étouffent puisqu'il y a (toujours) pire ailleurs ?
Faudrait-il se contenter de picorer les miettes de minima sociaux qu'on daigne (encore, mais pour combien de temps) nous jeter, et de respirer l'air que l'on nous donne ?



Je ne veux pas me contenter de survivre.
Je ne veux pas me contenter des minima sociaux actuels, comme l'AAH qui est sous le seuil officiel de pauvreté.
Je ne veux pas me contenter du fait que mes amis perçoivent des salaires dérisoires.
Je ne veux pas me contenter du fait que les stagiaires se fassent entuber et effectuent le travail d'employés qui ne sont pas embauchés.
Je ne veux pas me contenter du fait que les patients dans les hôpitaux bouffent de la merde livrée par Sodexo.
Je ne veux pas me contenter du fait que des individus ou familles modestes ne partent jamais en vacances, n'aillent jamais au cinéma, n'accèdent à aucun loisir payant.
Je ne veux pas me contenter de laisser faire les déforestations, pollutions, pillages de ressources, braconnages et trafics.
Je ne veux pas me contenter d'échapper à l'épidémie de virus Ebola, aux rafles de sans-papiers, aux expulsions par des huissiers.
Je ne veux pas me contenter de laisser vivre des millions de gens dans des HLM avec un horizon de béton pour cour de promenade et pour avenir, sous prétexte qu'ils ont un toit sur la tête et que leurs immeubles ne sont pas bombardés.
Je ne veux pas me contenter de finir à la rue, sous prétexte que cette rue est moins dangereuse qu'à Gaza ou à Alep.
Je ne veux pas me contenter de risquer de dire un jour à Farah que ses tweets sont des « indignations quotidiennes pour minables et égoïstes » en comparaison de ce que peuvent endurer les enfants vendus comme esclaves sexuels sur des marchés parallèles, enfermés dans des caves et sodomisés plusieurs fois par jour.

Je ne veux pas qu'on se contente de survivre et de porter nos fardeaux en pleurant en silence, ni en trouvant du réconfort dans le fait de savoir que d'autres sont torturés, massacrés, exploités et souffrent davantage que nous. Quel réconfort suis-je sensée trouver, quelle sagesse suis-je sensée atteindre dans le spectacle d'une humanité, d'une planète, d'un enfant, ou même d'un âne à l'agonie ?


La seule leçon que l'on puisse en tirer, c'est que nous avons raison de nous plaindre. D'être en colère. De combattre toutes les injustices. D'exiger un monde meilleur (non pas Le Meilleur des Mondes), et pas simplement un monde dans lequel on survit.

Ne vous souciez que du sort des enfants bombardés (à Gaza de surcroit, en Irak on s'en fout hein, et les adultes aussi on s'en fiche) si le cœur vous en dit, mais il y a une chose que je vous interdis : c'est d'utiliser ces enfants, ces populations pour prendre en otage l'amélioration de ma qualité de vie, la défense de mes droits et la conquête de nouveaux. Que j'espère voir bénéficier à tous, y compris à Gaza.



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« Ce sont de mauvais découvreurs, ceux qui pensent qu'il n'existe pas de terre quand ils ne peuvent voir rien d'autre que la mer. »
Francis Bacon

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