jeudi 29 octobre 2015

Médecine et consentement : de la théorie à la pratique quotidienne

Préambule


Pour comprendre comment on a pu en arriver là, consulter "Futurs médecins : ça se forme ou ça se conforme ?"

Concernant le consentement, lire "Qui ne dit mot ne consent pas."

Enfin, entendre le rappel éthique et juridique de la Conférence des doyens de facultés de médecine et de la ministre de la Santé : "Les touchers vaginaux et rectaux sans consentement interdits à l'hôpital", "Le gouvernement veut empêcher les touchers pelviens sans consentement."


Voilà

Nous voilà bien avancés.. ou pas. Car les touchers vaginaux (TV) et touchers rectaux (TR) sous anesthésie générale (AG) sans consentement préalable du patient, c'est un peu l'arbre qui cache la forêt. Un arbre de bonne taille, menaçant de s'écraser au sol, et qu'il convenait d'abattre urgemment puisque les touchers vaginaux et rectaux sans consentement préalable correspondent à la qualification pénale de viol - ce qui n'est pas rien..

Il reste néanmoins toute une forêt dense, riche, complexe, une "jungle du consentement du patient" à explorer, et dans laquelle il n'est pas rare que patients et médecins se perdent. Au-delà de la réaction épidermique, corporatiste, et des justifications de mauvaise foi émises par certains médecins ou étudiants (voir "Touchers vaginaux : Un tumblr épingle les médecins anti-consentement"), on a pu noter dans divers témoignages et propos du corps médical une véritable incompréhension de ce que recouvre la notion de consentement, mais surtout de son application concrète en médecine.
Le consentement est partout à l'hôpital, et nulle part. On trouve difficilement notion plus universelle, fréquente, et pourtant fluctuante, incertaine, variable que celle du consentement du patient.

Je reviens sur cette tribune intitulée  : "Le consentement, point aveugle de la formation des médecins."
Force est de constater qu'effectivement, la notion de consentement est problématique en médecine ; "l’apprentissage du respect du consentement : ce fondamental de l’enseignement" semble en être le grand absent. Mais ce n'est pas tant que cette notion n'est pas abordée du tout (elle l'est, mais peu, et mal) mais qu'elle reste, dans la pratique quotidienne de la médecine, très floue.
Ça ne viendrait pas à l'idée d'un étudiant en médecine de rentrer dans la chambre d'un patient, et, sans rien lui demander, lui poser des perfusions inutiles pour s'entrainer. Mais rentrer dans le bloc opératoire et fourrer ses doigts dans le vagin ou l'anus du patient, sans son consentement, ne posait (jusqu'à présent) pas plus de problèmes que ça.

"Le consentement libre et éclairé du patient à chaque acte médical est clairement le point aveugle de la formation des médecins."
Ceci, c'est la loi - et la théorie : tout acte médical doit faire l'objet d'un consentement libre et éclairé, et le patient est libre de refuser.
Mais dans les faits, le consentement n'est jamais (je dis bien jamais) recueilli pour CHAQUE acte médical.

Parfois, souvent même, le consentement est "implicitement" demandé / perçu par le personnel soignant : le bilan sanguin est un bon exemple.
Un bilan sanguin est prescrit, on dit au patient : "On va vous faire une prise de sang pour détecter ceci ou cela", et on lui fait. Même s'il répond "oui", le consentement n'ayant pas été expressément demandé, on ignore s'il dit "oui" = "oui j'ai compris ce que vous comptez faire" ou "oui je suis d'accord pour cette prise de sang".

De même, on ne demandera pas son consentement au patient pour chaque "item", chaque "sous-point" ; on ne dira pas : "Êtes-vous consentant pour la prise de sang ? Et pour le contrôle du cholestérol ? La détection des hormones de grossesse ? La glycémie ? Le taux de vitamine D ?" etc.

En revanche, il arrivera parfois qu'on demande son consentement au patient pour le dosage d'une alcoolémie, de substances illégales, ou de psychotropes.
Déjà, parce qu'il y a en théorie une obligation légale de demander le consentement - et qu'il arrive que les médecins ou infirmières s'en souviennent ^^" - mais surtout parce que le personnel soignant aura davantage "le réflexe" de solliciter l'avis du patient sur ces dosages sanguins en particulier, car ils renvoient à des problématiques que les soignants savent être intimes, personnelles, ou difficiles (dépression, dépendance, alcoolisme, illégalité et peur d'être dénoncé, etc).

Le consentement est donc "implicitement" demandé / ressenti par le personnel soignant, mais il est aussi parfois tout bonnement nié. Et ce, pas uniquement au bloc opératoire lorsqu'il s'agit d'entrainer des étudiants à des touchers vaginaux ou rectaux.

Dans certains cas le consentement n'est pas requis, en accord avec la loi, voire en accord avec le bon sens : une personne arrive aux Urgences, inconsciente, elle se vide de son sang suite à des plaies multiples, on ne PEUT pas lui demander son consentement, mais on l'opèrera quand même.
Mais dans d'autres cas.. J'ai déjà vu des équipes soignantes privilégier l'accord des familles au détriment de la volonté du patient - en l'occurrence, souvent des personnes âgées.
De même, qui n'a jamais vu, la nuit dans un hall d'Urgences, un homme (ou une femme, évidemment), peut-être ivre ou défoncé ou non, et qu'importe ?, se débattre et hurler pour REFUSER un acte médical, et les équipes soignantes - avec le concours des agents de sécurité voire de la police - immobiliser, parfois très violemment, l'individu, l'attacher, et accomplir des actes médicaux quand même, alors qu'ils ne sont pas justifiés par une urgence vitale ?

Et quand un individu est emmené par la police, et que les agents exigent tel ou tel examen ou acte médical - contre la volonté du patient - que faire ?
Et si cet individu a été "ramassé" dans la rue ou s'il s'agit d'un détenu transféré à l'hôpital, est-ce que c'est pareil ?
Faut-il prendre en compte le consentement d'une personne alcoolisée, ou "droguée" ?
Un enfant / un mineur peut-il donner ou refuser son consentement ?
Un patient transféré depuis un service psychiatrique est-il ou non automatiquement "irresponsable" juridiquement et incapable de prendre des décisions pour lui-même ?
Peut-on décider à la place du patient parce qu'on pense savoir ce qui est le mieux pour lui ?
Et un infirmier ou un médecin de garde, a fortiori débordé, aura-t-il le temps de chercher les réponses à ces questions juridiques et éthiques sur le net ?


TOUT ÇA POUR DIRE.. que la notion de consentement du patient, à l'hôpital et ailleurs, n'est pas tant ignorée que totalement floue. Floue pour les patients, dont beaucoup ignorent qu'ils ont le droit de refuser un acte médical. Floue pour le personnel soignant, au niveau éthique, au niveau juridique, et au niveau pratique.

Voilà pourquoi la "solution" d'utiliser des mannequins ou matériel de simulation lors des études de médecine ne répond EN RIEN à la problématique du consentement du patient.
Ce n'est pas ce mannequin qui dira aux étudiants quoi faire, ce qui est légal ou non, quelle demande doit primer (celle du médecin ? du patient ? du policier ? du juge ? de la famille ?), lorsqu'ils se retrouveront confrontés quotidiennement et concrètement à la notion de consentement.

Il faudrait TOUT revoir, remettre à plat, recenser les questions les plus fréquentes et les plus pertinentes (cas rares, ou auxquels on ne penserait pas en premier lieu), et y répondre CLAIREMENT par exemple dans un petit livret à destination des patients, des étudiants, et du personnel soignant.

Dans un monde idéal (avec plein de paillettes dedans, j'aime beaucoup les paillettes :D), un service juridique rompu à ces questions serait sur place, et accessible 24h/24 et 7j/7 pour répondre aux (nombreuses) demandes et questions.


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“Médecin, soigne-toi toi-même.”
Proverbe latin

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