mercredi 6 août 2014

FEMEN : ces femmes nues qui dérangent

Il est de bon ton de critiquer les Femen.
Comme il est de bon ton de critiquer les grévistes, les cheminots, les profs ou les intermittents du spectacle, ces "privilégiés" (qui mangent des pâtes Carrefour Discount, pendant que d'autres... non, rien).

On peut faire des reproches au mouvement Femen, comme on peut critiquer tout mouvement, qu'il soit politique, social, culturel, philosophique, syndical...
Moi-même, je leur reproche leur position anti-pornographie et anti-prostitution.
Bref : on peut critiquer le cadre théorique ou idéologique, on peut critiquer les méthodes de lutte ou d'action. Mais encore faut-il savoir de quoi on parle : or, ce n'est pas le cas de la plupart des personnes qui émettent ces critiques.

Voici les reproches les plus fréquents qui leur sont faits, liste non exhaustive : une brève recherche Google démontre que les articles de sites / billets de blogs qui leur sont consacrés sont très majoritairement négatifs à leur encontre. On pourrait d'ailleurs interroger le pourquoi de ce bûcher médiatique alimenté par l'opinion publique : au 21ème siècle, force est de constater que le corps nu ou à demi-nu des femmes continue d'alimenter les plus vieux réflexes de rejet.


« Les Femen sont violentes »

Violentes, les Femen ?
Une poitrine nue c'est violent ?
Un slogan peint sur les seins ou le ventre, c'est violent ?
Des cris, c'est violent ?
Taper sur une cloche avec un objet recouvert de mousse c'est violent ?
Brandir des pancartes c'est violent ?

Ce qui est violent, c'est la réponse disproportionnée qu'elles reçoivent en retour : coups, gaz lacrymo, dents cassées. Ce qui est violent, c'est le dénigrement permanent dont elles font l'objet, dans les médias, dans les commentaires, sur des forums, sur les réseaux sociaux. Ce qui est violent, c'est la répression, les menaces et autres harcèlements dont elles sont victimes. 

Ce qui est est violent, c'est que les gens ne savent plus faire la distinction entre ce qui est violent et ce qui ne l'est pas. 
* Violence : de quoi parle-t-on ? Est-ce la violence qui croît dans la société, ou notre sensibilité envers elle ?

Ce qui est violent, c'est le traitement particulier, et particulièrement sexiste, de la violence lorsqu'elle est employée par femmes.

Car la violence des Femen n'est que symbolique : les Femen sont dans l'action pacifiste ; elles prennent des coups, elles n'en donnent pas.


« Les Femen s'attaquent aux religions »

Oui, et alors ?
Les religions ne sont sacrées et intouchables que pour ceux et celles qui les considèrent comme telles, ce n'est pas une vérité universelle et absolue, encore moins une obligation. Nous avons le droit de blasphémer. Nous avons le droit de critiquer les religions. La "profanation" de "lieux saints", "salir des lieux de culte" n'est pas un vocabulaire républicain.

* La profanation, c’est la basilique du Sacré-Cœur, pas les tags
« Profanation ». Tous utilisent ce mot. Pas délit, pas vandalisme, pas dégradation : profanation. Soit un rapport au sacré. (...) Le fait religieux est posé comme une évidence, et pas question de rappeler que si l’action publique organise la libre expression religieuse, elle ne reconnaît rien.


Enfin, quand on se préoccupe sérieusement de féminisme, la critique de la religion est inévitable.
* Femen : « Là où commence la religion s’arrête le féminisme »
« l’un des principaux messages que nous essayons de faire passer à travers notre combat est que la religion, et donc l’Église, répand des valeurs misogynes. Je crois que là où commence la religion s’arrête le féminisme. »
Ce rapport de confrontation à la religion fait partie intégrante du mouvement Femen, qui se revendique féministe, athée et "religiophobe" :
« Le féminisme et la religion ne peuvent pas co-exister (...) Nous sommes athées ! Et nous avons le droit de dire que vos dieux, on les emmerde ! »

« Les Femen sont racistes »

Car les religions sont des "races", évidemment...


Passons sur l'escroquerie intellectuelle devenue habituelle : critiquer l'islam => critiquer les arabes (car ils sont tous musulmans, bien sûr) => islamophobie = racisme, et attardons-nous sur ce qui est vraiment rigolo dans cette histoire : ces accusations de racisme sont, pour l'essentiel, portées par Rokhaya Diallo (association Les Indivisibles), Les Indigènes de La République, ou leurs soutiens (et autres fans de Kémi Séba et nostalgiques de La Tribu Ka) :


à savoir des gens qui sont les premiers à déshonorer l'antiracisme :
* Les "Y’a bon Awards" déshonorent l’antiracisme
« Hélas, le but de Rokhaya Diallo et de son association (Les Indivisibles) n’est pas de militer contre le racisme… Mais de combattre les antiracistes ayant le tort, à leurs yeux, de défendre la laïcité. Pour proposer un autre modèle, basé sur les statistiques ethniques et la laïcité « ouverte », aux religions et même à l’intégrisme. »
A-t-on accusé les Femen de "racisme" lorsqu'elles ont découpé une croix à la tronçonneuse ? Non. Les accuser de "racisme" lorsqu'elles s'en prennent à d'autres religions n'a guère davantage de sens.
* Inna Shevchenko : « Je ne suis pas islamophobe mais religiophobe »


« Les Femen sont toutes jeunes et belles »

Un bien étrange reproche ! Les femmes n'auraient-elles pas le droit d'être jeunes et belles ?
* Ces femmes jugées trop belles pour travailler

Et un reproche non fondé :
* En France, les Femen bousculent le féminisme :
On leur reproche d’être jeunes et belles, de ne pas avoir dans leurs rangs de filles moins avenantes ? Cela fait bondir Marguerite qui renvoie aussitôt la balle dans le camp des médias : « Mais ce sont eux qui choisissent de photographier celles qui correspondent à ces critères. Lors de notre action contre Civitas, par exemple, il y avait des filles plus rondes et moins jeunes, mais on ne les a pas vues sur les photos… ».
* Femen ou le féminisme mis à nu :
Sur 300 membres, elles sont vingt à manifester dénudées. La plus jeune a 16 ans et la plus âgée 64.



« La nudité et la provocation donnent une mauvaise image des femmes / du féminisme »

Petit rappel :

* Féminisme : des suffragettes aux Femen en passant par Simone de Beauvoir
« Mais depuis sa naissance, le mouvement féministe a souvent choqué les esprits. Et la provocation a souvent servi d'arme politique pour interpeller les pouvoir publics, du Manifeste des Salopes de 1971 aux "slutwalks" (marche des salopes) de 2011. D'Olympe de Gouge aux "sextrémistes" venues de l'Est en passant par les suffragettes et Simone de Beauvoir »
* Le féminisme en action : bien avant les Femen
« Coups d’éclats, initiatives spectaculaires, ruptures ostensibles par rapport aux conventions de l’ordre établi, tout cela ne date pas d’hier »
* « Mon corps est une arme », des suffragettes aux Femen (lien de secours)
« Les Femen, en avançant l’idée que leur corps est une arme, forcent l’attention sur le rôle du corps et de sa représentation dans le répertoire de l’action militante. Or les femmes n’ont pas un égal accès à ce répertoire qu’il s’agisse de moyens traditionnels (grève, manifestation, rassemblement, meeting...) ou pas. »

« Ce que font les Femen est inefficace, contre-productif » 

C'est vrai que défiler de République à Nation en écoutant les camions de la promenade manif qui crachent du Zebda, voter tous les 5 ans ou signer des pétitions en ligne c'est teeeeellement efficace...
Les méthodes militantes dites "extrêmes" font leurs preuves. Peu d'acquis sociaux et de droits n'ont été conquis qu'en philosophant.

Enfin, rappelons – oui, encore – que la violence des Femen est symbolique, et s'inscrit dans l'utilisation de méthodes qui ne sont pas inconnues du militantisme et du féminisme :
« Leurs actions spectaculaires sont essentiellement utiles pour attirer l'attention des médias. Si l'on analyse la longue histoire du féminisme, les militantes qui ont eu recours à ce type d'actions ont été médiatisées. Les Suffragettes anglaises se sont enchainées au Parlement, elles ont cassé des carreaux et même mis le feu à des bâtiments publics ! »

---
« La révolte, c’est aussi le miroir de l’incompréhension des autres. »
Régine Deforges