dimanche 26 août 2012

"La polémique Tomb Raider", démêler ce sac de noeuds

Je viens de pondre un texte que je trouve, personnellement et partialement, environ intelligent :D alors autant vous en faire profiter et le publier sur mon blog ^^'


La polémique Tomb Raider

Je me rends compte que c'est d'un compliqué en fait... -_-
Plusieurs choses s'entremêlent, et il s'agirait de ne pas les confondre et de les traiter une par une. Ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent...

"La polémique Tomb Raider", c'est :


1) Ce trailer du jeu, dans lequel on voit Lara Croft subir une agression sexuelle. Clairement évoquée pour les uns, légèrement sous-entendue pour les autres, il n'empêche qu'on peut difficilement la nier.
(oui, c'est moi qui ai fait ce petit montage. Je m'amuse bien pendant mon temps libre, hein)
Ce trailer ne pose qu'une question, à mon sens : un viol / une agression sexuelle ont-ils leur place dans un jeu vidéo ? Oui, comme toutes les autres formes de violence et d'agression qu'on peut trouver dans un jeu vidéo, ou dans un livre, un film, un tableau... À condition que ce ne soit pas fait n'importe comment, comprenez : que ça ne serve pas, volontairement ou involontairement, la gloire de je ne sais quelle idéologie pourrie.


2) La réaction - en trois temps - du staff du jeu.
Successivement, on a eu droit :
- aux propos de Ron Rosenberg
- aux explications complémentaires de Darrell Gallagher
- au démenti, voire au déni, de Karl Stewart

Chacune de ces trois réactions appelle des commentaires, et pose effectivement la question du sexisme dans l'industrie du jeu vidéo.

En outre, les traductions des propos de Ron Rosenberg, Darrell Gallagher et Karl Stewart que j'ai trouvé pour l'instant sont soit incomplètes, soit inexactes (la faute à une traduction souvent trop "littérale"), parfois les deux... ce qui ne facilite pas la clarté des débats. 
Je me suis donc attelée depuis hier à re-traduire tout ça, et j'ai déjà fini la traduction des propos de Ron Rosenberg et de Darrell Gallagher. Reste ceux de Karl Stewart : sauf que là, il s'agit d'une conversation au téléphone rapportée par Jason Schreier dans l'ensemble de son article ; il faut donc traduire l'article en entier, youpi... -_-
Une fois que les traductions seront terminées, et publiées en entier..., on pourra en parler. N'en commenter que des extraits ou utiliser des traductions approximatives ne ferait qu'augmenter le risque de se méprendre.


3) Les réactions, articles et commentaires graveleux et parfois douteux qu'ont suscité le trailer et la future sortie de ce Tomb Raider.
Par exemple l'article paru dans Joystick (c'est pas pour m'acharner, hein, c'est juste un bon exemple ^^). Nul doute que ces réactions et articles questionnent aussi le sexisme : qu'il s'agisse du machisme des joueurs qui trépignent à l'idée de voir une Lara battue, salie et tripotée par un gros dégueulasse, ou de leur propension à se découvrir une vocation de preux chevalier qui sauve la damoiselle en détresse.

Ces articles et commentaires nécessitent qu'on s'y attarde à part, indépendamment du jeu.
Pour la simple et bonne raison que nombre de ces articles "tirent des plans sur la comète", et fantasment plus qu'ils ne s'appuient sur des éléments concrets du jeu.
Ils influencent donc directement la "polémique Tomb Raider" en prêtant au jeu, ou à ses développeurs, des propos ou des intentions qui ne sont pas les leurs, construisant ainsi une "réputation sulfureuse" à ce reboot qui semble être bien moins sulfureux que ce qu'on en dit.

Par exemple, l'analyse que fait Deez de ce Tomb Raider dans le numéro de Joystick Spécial Été 2012 : il voit ce jeu comme un "rape & revenge", et base son article là-dessus.
Selon cette théorie, l'agression sexuelle que subit Lara la transforme en "déesse vengeresse qui enfonce des piolets dans les gorges mécréantes", p.17. 
(déjà, heu... des gorges "mécréantes" ?! kézako ?! o_O C'est comme quand il parle du "périple" de Lara... j'ai pas l'impression qu'elle fasse beaucoup de tourisme sur cette île, hein ^^')

Ben je ne partage pas du tout cette analyse.
Pour voir vu et revu maintes et maintes fois ce trailer, et pour avoir lu attentivement les différents propos du staff du jeu, de ce que l'on sait pour l'instant Lara n'est pas du tout dans une optique "vengeance" (La Jeune Fille et La Mort, Kill Bill, Plus Jamais...) mais uniquement "survie".
Et sauvetage de ses potes.
Elle n'a d'ailleurs pas besoin de "se venger" : elle a déjà collé une balle dans la tronche du bâtard qui l'a tripotée.
Ce premier meurtre agit donc plutôt comme une prise de conscience : "je peux / je dois être capable de tuer d'autres êtres humains pour m'en sortir, je n'ai pas le choix ; alors allons-y !" que comme un motif de soif de vengeance.


4) Les réactions de certaines féministes.
Certaines réactions, trop rares à mon goût, sont justifiées : oui, il y a du sexisme dans l'industrie des jeux vidéos ; oui, la société est globalement sexiste ; oui, c'est mal et il faut que ça change. En plus ça ouvrirait des perspectives inédites ou sous-exploitées dans le scénar' et le gameplay des jeux vidéo.

Mais d'autres réactions de "féministes" (souvent autoproclamées et bien peu féministes au final, hélas) sont totalement disproportionnées... et pour cause : elles se basent souvent sur les articles dont je parle précédemment, à savoir des articles emplis d'erreurs, d'interprétations et de fantasmes, et non objectivement basés sur ce qu'on sait / on voit du jeu. 

Et elles commettent la même erreur que les journalistes et gamers qu'elles critiquent, en prêtant au jeu ou à ses développeurs des intentions qui ne sont pas les leurs, et que rien dans le trailer n'étaye.
Par exemple, accuser Crystal Dynamics, ou ce trailer ou ce jeu vidéo, de faire l'apologie du viol... ben dites donc, j'ai pas souvent vu des "apologies de viol" qui finissent avec le violeur se prenant une bastos entre les deux yeux, hein :


Ce trailer de Tomb Raider n'est définitivement PAS une apologie du viol. 

Quant au jeu lui-même, pour savoir si les accusations de sexisme (etc...) sont justifiées, il faudra attendre sa sortie et l'avoir fini pour en connaître définitivement le scénario, la mise en scène, et se faire un avis objectif.


Voilà voilà.
L' "affaire Tomb Raider" est donc un poil plus compliquée que ce que la guerre des tranchées sur le net ne laisse supposer.
Et je vais tâcher dans les prochains jours de traiter de ces différents points. 
(oui bon, heu, ça viendra quand ça viendra ^^ Hé ho !, j'ai d'autres trucs à faire aussi, et puis j'suis pas payée hein... ^^)

En attendant, j'ai déjà pondu ça. Possible que je le réédite / complète d'ici quelques jours, en fonction des autres articles que j'ai prévu d'écrire sur le sujet.
Si ça peut aider à démêler un peu ce sac de noeuds, tant mieux. 
Sinon, tant pis !




---
"Élever très haut le débat est une façon élégante de le perdre de vue."
Grégoire Lacroix, Les Euphorismes de Grégoire

vendredi 24 août 2012

"L'affaire Joystick" / Tomb Raider. Deez, Lara Croft, Crystal Dynamics et le sexisme dans les jeux vidéo


Scandale. Un célèbre jeu vidéo comportant une scène d'agression sexuelle. Un article de presse spécialisée qui (re)met le feu aux poudres. Des féministes aiguisant leurs couteaux. Mais que se passe-t-il ?
Il se passe qu'une fois de plus, le sexisme dans les jeux vidéo fait parler de lui : à juste titre (oui, le sexisme sévit dans les jeux vidéo, comme il sévit dans toute la société, et c'est un GROS problème), mais pas toujours de la meilleure manière qui soit.

Entre l'article de Mar_Lard, certes judicieux sur quelques points d'analyse du sexisme, mais souvent de mauvaise foi en prêtant par exemple à Deez des propos qu'il n'a pas tenu ; l'article de Deez lui-même (que beaucoup critiquent sans même l'avoir lu dans son intégralité) ; le droit de réponse partiellement hors-sujet et totalement déresponsabilisant de Joystick ; et tous les articles et commentaires qu'a suscité cette "affaire", difficile de faire la part des choses.

Mais je vais quand même essayer. Oué, j'suis une hard-core gameuse, les challenges ça me connait. Et je suis toujours preum's sur les missions-suicide.

Pour commencer, il faut différencier "l'affaire Joystick" sur laquelle je vais m'attarder ici, de "la polémique Tomb Raider" dans son ensemble que j'évoque un peu là.

Et oublions les détracteurs hystériques comme les défenseurs peu regardants, pour nous concentrer sur l'essentiel (selon moi de mon point de vue propre, prenez des pincettes, nanani nanana).


1) Avant de critiquer Joystick et Deez, parlons un peu du jeu lui-même
Ou tout du moins du studio chargé de son développement, qui a dit tout et son contraire et usé de faux-fuyants, ce qui n'a pas aidé à la clarification des débats.

Tout a commencé avec l'un des trailers de Tomb Raider dont certaines scènes suggèrent que Lara Croft, le célèbre personnage féminin de jeu vidéo, est victime d'une agression sexuelle.
Le studio de développement - Crystal Dynamics - via l'interview de Ron Rosenberg confirme :
"Ron Rosenberg a bien confirmé que Lara subirait une tentative de viol. Pour lui, «Lara se transforme en animal acculé. C'est un moment-clé dans son évolution. Elle doit se battre, ou mourir.»" 
Suite à ces propos, repris (et souvent déformés) par de nombreux sites et blogs, les esprits s'échauffent et la polémique grandit.

Puis Crystal Dynamics se rétracte : Darrell Gallagher, son directeur, explique qu'ils se sont mal exprimés à ce sujet, et que la scène de l'agression de Lara dans le trailer a été mal comprise.
Karl Stewart intervient à son tour, et nie en bloc : les propos de Ron Rosenberg n'engagent que lui, la scène n'évoque pas d'agression sexuelle ni même de tentative (ben voyons) : il s'agit tout au plus d'une « intimidation physique proche »... Circulez, y'a rien à voir.

Bon alors... est-ce qu'une scène de (tentative de) viol dans un jeu vidéo pose un problème en soi ?
Non. Les jeux vidéo (comme les films ou les romans) sont remplis de décapitations, de membres découpés, d'headshots, d'explosions, de violences diverses (mais pas que, of course), et encore heureux, sinon on s'ferait bien chier. Donc une scène de viol, why not.
MAIS. Tout dépend de comment elle est mise en scène, exploitée, quels messages sont véhiculés derrière. Et c'est là que le bât blesse, le plus souvent.

D'après les trailers de Tomb Raider, les explications des développeurs, et la manière globale dont le titre est accueilli par la presse JV et les gamers, ce qui est mis en avant c'est :

* le cliché de la demoiselle en détresse :
Ron Rosenberg a expliqué que cette agression sexuelle de Lara et sa vulnérabilité étaient sensées susciter chez le joueur l'envie de lui venir en aide. Il ne s'agit donc pas de s'identifier au personnage, mais de s'identifier à celui qui porte secours au personnage, au chevalier qui sauve Lara.
Courage Peach, Mario arrive.

* l'érotisation, la "pornographisation" (oui c'est un nouveau mot, le féminisme couche souvent avec le barbarisme, hélas) du viol :
Globalement, et que les développeurs du jeu l'aient voulu ou non, la campagne médiatique faite autour de ce titre porte sur, grosso merdo : "Lara va prendre cher".
Ce qui semble titiller nombre de joueurs et de journalistes jeux vidéo (mais pas tous), ce n'est pas tant que Lara "triomphe de l'adversité" en réussissant à coller une balle dans la tête de son agresseur, ni que cela serve de "déclencheur" et pousse notre frêle héroïne à devenir une guerrière impitoyable au lieu d'aller sagement se cacher dans un donjon une cabane en attendant les secours. Non, ce qui semble titiller une bonne partie du milieu du jeu vidéo, c'est que Lara va être salie, brutalisée, couverte de sang, de terre et de larmes.
C'est excitant. Preuve en est le nombre de commentaires graveleux et d'allusions sordides qui emplissent certains articles et commentaires, et le choix fait par quelques journalistes d'utiliser un champ lexical érotico-pornographique pour parler de cette scène du jeu et de Lara.

Si les développeurs se sont fendus d'explications et de démentis, et semblent réellement embarrassés par cette polémique, il n'en reste pas moins qu'ils ne pouvaient pas ignorer qu'ils réunissaient dans leur trailer les ingrédients d'un gros buzz : du cul (qui n'a pas échappé au magazine Joystick par exemple, celui-ci publiant en Une "Lara a vu le loup !") et du trash (la tentative de viol).
De ce côté là, le buzz est réussi, le jeu aura fait parler de lui.

Bref : un viol ou une tentative de viol dans un jeu vidéo, pourquoi pas. Mais assumé (pas de déni à la Karl Stewart), justifié par le scénario (ce qui semble être le cas dans Tomb Raider), et gare à ne pas le confondre avec un porno dans la manière de le mettre en scène ou d'en parler... (oui Deez, je m'adresse à toi. Mais pas que.)


2) Le problème majeur de l'article de Deez, c'est qu'il est mal structuré
L'article de Deez comporte d'un côté les propos des développeurs, ou les intentions que Deez leur prête ; de l'autre côté les propos de Deez lui-même, son analyse de la chose.
Le problème, c'est que l'article n'est pas du tout structuré : Deez suit le fil de sa pensée, il n'y a pas par exemple
1) l'intention des développeurs
2) son opinion là-dessus
3) et le jeu en lui-même dans tout ça ? (gameplay, scripté ou open-world, action ou explo (ou les deux), scénar' (les mystères de l'île) etc.)
Sans compter les maladresses et erreurs de vocabulaire (sur lesquelles je reviens plus bas).

Ce manque de structuration de l'article, et un maquettage on va dire "hasardeux" (phrases coupées en fin de page, regard qui s'attarde sur les nombreuses, et graaandes images, avant de reprendre la lecture) complique sa compréhension.
Du coup, la distance entre les intentions des développeurs du jeu (que Deez ne fait que "rapporter", ou supposer) et les propos de Deez lui-même s'efface, laissant place à un quiproquo géant.

Ceci dit, il faut remarquer aussi que même lorsque la distance entre les propos de Deez et ceux des développeurs est évidente, ça n'empêche pas certains de ses détracteurs - dotés d'une mauvaise foi inouïe - de faire des amalgames éhontés avec des extraits de son article.
Alors, bon. Paille, poutre, tout ça.


3) Certains propos de Deez lui-même sont critiquables
D'une part, il surfe volontairement sur le côté provoc' et border-line (ce qui demande un minimum de précautions d'usage et d'être aguerri à l'exercice, on ne fait pas ça "naïvement" pour reprendre le terme de Deez dans l'Express) ; d'autre part, il commet involontairement des maladresses qui - vu le côté provoc' précédemment assumé - passent difficilement pour "involontaires" aux yeux de ses détracteurs.
Exemple de maladresse vraiment, vraiment malvenue : parler de "calvaire charnel" (p.15) et de "rencontre malencontreuse" au lieu d'agression sexuelle.
Autre exemple : évoquer le "périple" de Lara (p.17). On voit bien ici que les termes choisis sont loin de ce que vit Lara et très inadaptés.

D'autre part, l'article fourmille de petits détails, de vocabulaire, qui soit :
* érotisent,
* visent à rendre "drôle" ou "créatif",
* minimisent,
* voire ridiculisent l'agression sexuelle que subit Lara.

- érotisation : "la miss est plaquée au sol, les mains attachées", "l'ambiance sonore est saturée des gémissements de la belle", "Et si j'osais, je dirais même que c'est assez excitant." (p.17)

- minimisation : "Bon, ici, il n'y a pas de viol à proprement parler. Mais les mésaventures de Lara sont suffisamment éloquentes et suggestives pour qu'on puisse y voir des métaphores obscènes." (p.15)
Heu... L'obscénité ne me dérange pas, hein ; mais une agression sexuelle ce n'est pas juste "obscène", c'est bien plus grave. Quant à parler de "mésaventures"... *lève les yeux au ciel*

- lolilolades et "créativité" : "Tomb Raider part dans une direction que je trouve à la fois culottée (ahah) et originale. Faire subir de tels supplices à l'une des figures emblématiques du jeu vidéo, c'est tout simplement génial." (p.17)
Vivement un prochain Mario avec Princess Peach qui se fait violer en scène d'intro : rien de tel pour redonner un peu de souffle à la série, mais si.

- ridiculisation : "Ciel, un bandit crasseux et suant me veut du mal. Chéri, c'est affreux." (p.18)


On aura ainsi noté que le vocabulaire utilisé par Deez est bien souvent non seulement mal choisi, mais complètement inapproprié :

- "Il y a une vraie jubilation à la voir passer du statut de victime terrorisée à celui de déesse vengeresse qui enfonce des piolets dans les gorges mécréantes." (p.17)
Des gorges "mécréantes" ?


Ces nombreuses erreurs de langage entretiennent également l'amalgame, la confusion entre le porno (où les acteurs et actrices sont consentants, hein) et l'agression sexuelle de Lara (de ce qu'on sait et avons vu du jeu jusqu'à présent, rien ne laisse présager que Lara est consentante bien au contraire) :

- "tant pis si, pour aboutir à un résultat séduisant, il faut malmener l'héroïne autant que peut l'être une actrice de gonzo SM" (p.12)

- "Lara Morgane" (p.14)

- "la séquence entrevue n'a fait que confirmer ma prédiction de gros vicelard. Oui, Lara prend cher dans Tomb Raider" (p.15)

- "la miss est plaquée au sol, les mains attachées", "l'ambiance sonore est saturée des gémissements de la belle" (p.17)


4) Un autre détail sexiste "banal"
réside dans les petits noms et qualificatifs utilisés par Deez pour parler de Lara :
"la belle", "la miss", "la brunette", "l'héroïne-starlette", "la donzelle"... Mais peut-être que je me trompe.
J'ai dû rater toutes ces critiques de JV évoquant Kratos le beau gosse, ce p'tit gars qu'on a envie d'aider dans ses mésaventures avec les dieux.


5) La théorie - non fondée - du "Rape and Revenge"
Deez voit ce Tomb Raider comme "un rape and revenge" (p.15), et base son article là-dessus, ce qui n'a pas manqué d'attirer les foudres de nombreuses féministes dénonçant cette "rape culture" familière au cinéma.
Mais ne nous emballons pas, car il n'y a aucune forme de "rape and revenge" dans Tomb Raider.

Selon cette théorie (que Deez a néanmoins la précaution de présenter comme "fumeuse", il faut lui reconnaitre) l'agression sexuelle que subit Lara la transforme en "déesse vengeresse qui enfonce des piolets dans les gorges mécréantes", p.17.

Je ne partage pas du tout cette analyse.
Pour voir vu et revu maintes et maintes fois ce trailer, et pour avoir lu attentivement les différents propos du staff du jeu, de ce que l'on sait pour l'instant Lara n'est pas du tout dans une optique "vengeance" (comme dans La Jeune Fille et La Mort, Kill Bill, ou Plus Jamais par exemple) mais uniquement "survie".
Et sauvetage de ses potes.
Elle n'a d'ailleurs pas besoin de "se venger", puisque c'est déjà fait : elle a déjà collé une balle dans la tronche du bâtard qui l'a tripotée.
Ce premier meurtre agit comme une prise de conscience : "je peux / je dois être capable de tuer d'autres êtres humains pour m'en sortir, je n'ai pas le choix". Et la tentative de viol n'est pas un déclencheur de "soif de vengeance" : c'est le déclencheur du meurtre. Lequel installe Lara dans une position d'apprentie guerrière en lutte pour sa propre survie.


6) Deux phrases qui sauvent les meubles ou presque

- "On en envie d'aider Lara dans son périple" (p.17)
Bien que "périple" ne soit définitivement pas le terme que j'aurais choisi (d'après le trailer, Lara n'a pas l'air de la jouer "touriste"...), l'intention est louable. On s'éloigne de "Lara prend cher, c'est excitant !" pour en venir à "j'ai envie de lui venir en aide". On progresse.
Néanmoins, on reste dans le cliché que les développeurs avaient souhaité / prévu : la demoiselle en détresse à sauver, merci preux chevaliers gamers.

- "j'attends désespérément la sortie du jeu pour pouvoir souffrir à ses côtés" (fin d'article, p.19)
Aaaah !, là c'est beau ! Le journaliste JV / le gamer descend de son destrier blanc pour, enfin !, s'identifier à Lara et souffrir à ses côtés. Cé-ti-pa-tro-to.

Mais même là, c'est encore assez maladroit : car il dit vouloir souffrir à ses côtés parce qu'il "l'aime, la nouvelle Lara". Et s'il l'aime, apparemment c'est parce que "En devenant plus faible, plus fragile et vulnérable, la donzelle n'a étonnamment jamais été aussi forte." (p.19)
Autrement dit, une femme est attirante lorsqu'elle retrouve les attributs qui lui sont socialement et culturellement dévolus : être le sexe faible, être vulnérable, être en danger (et probablement avoir besoin d'être sauvée).
Certes, Deez dit aussi que tout ceci la rend plus forte.
Mais en le lisant, le doute subsiste : ce qu'il aime, c'est qu'elle soit forte, ou fragile et vulnérable ?

D'ailleurs, cette dernière phrase de l'article met en lumière une autre phrase précédemment écrite par Deez - qui lui a été très reprochée - et en change notoirement le sens :

Première phrase, très critiquée : "Et tout ceci est concocté des mains de tous ces pervers qui officient en tant que développeurs chez Crystal Dynamics. Mais ça tombe bien : pervers, je le suis aussi." (p.15) 

Seconde phrase, qui change le sens de la première :
"j'attends désespérément la sortie du jeu pour pouvoir souffrir à ses côtés. Je vous avais dit que j'étais un peu pervers." (p.19)

La dernière phrase de l'article fait donc écho à une phrase précédente, c'est une sorte de "boucle".
Et elle change totalement le sens du mot "pervers" qu'emploie Deez au début, et qui lui a été tant reproché - à tort : car finalement, on apprend page 19 que ce que Deez considère comme "pervers" page 15, c'est d'avoir envie de souffrir aux côtés de Lara.
Faut bien admettre qu'on a connu pire comme pervers, hein.

Le problème est que cette "boucle" est beaucoup trop grande : entre la page 15 et la page 19, y'en a eu des bêtises de dites, et des (grandes) images sur lesquelles on s'attarde qui font perdre le fil du propos... et du coup, cette fameuse "boucle" on la zappe et on passe complètement à côté de ce que Deez voulait dire lorsqu'il évoquait sa "perversité".
C'est dommage. Car ces deux phrases semblent plus représentatives de ce que pense Deez que ses autres maladresses.


Conclusion

Beaucoup de bêtises, d'erreurs, et même d'horreurs qui malgré leur côté manifestement involontaire restent très dommageables, et auraient pu être facilement évitées. (les dictionnaires en ligne, c'est magique)

Non, Deez ne semble pas être le pervers sadique assoiffé de viol que décrit Mar_Lard.
Par contre, cette "affaire" révèle qu'il est urgent de faire des formations sur l'anti-sexisme dans les comités de rédac' JV. Si.
Errare humanum est, perseverare diabolicum.

Et non, on ne peut pas reprocher à Joystick de faire carrément "l'apologie du viol".

En revanche, on peut leur reprocher - on doit leur reprocher - leur manque de sérieux et de rigueur dans la lecture / la correction de l'article avant publication.
C'est un magazine, ils sont responsables de son contenu. (et du respect de la langue française, notamment de l'utilisation adéquate de vocabulaire. Je dis ça je dis rien.)
D'autant que ni le magazine ni l'article ne portent de mention "déconseillé aux moins de ...ans", alors se fendre d'un "nous comptons sur l'intelligence, le bon sens et la prise de recul des gens pour comprendre ce qu'on a voulu dire" c'est un peu léger.

Leur droit de réponse a pris la forme d'un "on a été mal compris" (déresponsabilisant), j'aurais préféré "on s'est mal exprimés" (reconnaitre son erreur).
Éventuellement suivi d'un "c'est vrai qu'un sexisme "banal" existe et s'est invité involontairement dans nos colonnes, nous serons plus vigilants à l'avenir" (là, en prime, tu peux t'en tirer avec les honneurs puisque tu dénonces les pièges du sexisme ambiant, et tu annonces vouloir y remédier).

Mais Joystick - et l'industrie du jeu vidéo dans une large mesure - ne semblent pas (encore ?) prêts à s'avancer sur cette voie.
Pfff. C'est nul d'être aussi mauvais joueur quand on est gamer.


---
Articles consultés :
- L'article de Deez, paru dans Joystick Spécial Été 2012

mercredi 1 août 2012

C'est quoi un bon bar, un bistrot sympa ? Le Guide Micheline du Levage de Coude

Derniers vestiges d'une époque où les gens se rencontraient dans la vraie vie pour boire un verre et discuter, voire refaire le monde, sur les bancs publics, les boulodromes improvisés, les places des villes et villages... les bars, bistrots et autres troquets tiennent une place particulière dans nos cœurs, nos week-ends et nos porte-monnaie.
Encore faut-il savoir distinguer les bons bars des infâmes bouibouis qui peuplent nos contrées.

Mais c'est quoi, un "bon" bar ? Suivez le Guide Micheline du Levage de Coude !



Le dernier de la classe : l'infâme bouiboui.

L'infâme bouiboui doit son appellation à deux caractéristiques principales : sa clientèle, et son hygiène. 

Sa clientèle : est principalement composée de tox' au crack ou à l'héro, d'alcooliques qui sentent un peu le pipi, et de prostituées qui ont l'âge d'être grand-mères (certaines ont la trentaine à peine, mais en paraissent soixante : la prostitution de rue n'a aucune vertu anti-rides). Sans nier la vérité historique et sociologique qui veut que, ma foi, c'est pas complètement leur faute si ils en sont arrivés là, je ne peux pas nier non plus le fait que bon... passer une soirée au bar en leur compagnie, c'est pas l'idée que je me fais d'une "bonne soirée" non plus, hein.
Je vais au bar pour me détendre, passer du bon temps avec les copains-copines, m'amuser : pas pour sauver le monde, ni le syndiquer (quoi que, ça arrive), ni remplacer les psys, éducateurs et assistantes sociales que l'État n'embauche pas. Ni pour prendre une balle perdue en cas de descente de flics ou de règlement de comptes entre proxénètes.

Son hygiène : déplorable, évidemment. L'infâme bouiboui est le plus souvent pourvu de "chiottes à la turque", le must étant des chiottes à la turque bouchées. De la merde, de la pisse et du vomi en fermentation depuis des jours, le gloubi-boulga des excréments. Un must, vous dis-je. Du coup : la clientèle est contrainte d'uriner et de poser sa pêche sur le bitume, dehors.
Une brève inspection du quartier, et vous comprendrez pourquoi La Fête Des Voisins n'est pas un succès dans le coin.
La bouffe et les boissons quant à elles sont souvent boudées par les rats et les cafards. D'ailleurs, les quelques rats et cafards morts que vous pourriez trouver de-ci de-là ne sont pas morts empoissonnés par des raticides ou insecticides : ils sont morts empoisonnés par la bouffe. N'empêche, une chips aux crevettes qui bouge toute seule... ils auraient dû se méfier.

Néanmoins, les bouibouis infâmes sont une mine d'or pour les collectionneurs : avec un peu de chance, vous pourrez trouver une bouteille de Coca-Cola de 1978 (celles où y'avait encore écrit sur l'étiquette "extraits de feuilles de coca" dans les ingrédients) ou une canette de Ricqlès de 1986, juste avant que la marque ne soit rachetée par Haribo et que le monde entier ne soit privatisé.


Le bouiboui - le bar "tendance" mais c'est un bouiboui quand même.

Le bouiboui est moins pourri que l'infâme bouiboui, mais c'est un bouiboui quand même.
Le pire, c'est que c'est le genre de bars à la mode. Si des potes vous invitent au bar, méfiance : y'a fort à parier que vous allez tomber sur un bouiboui.
Le bouiboui est facile à repérer : t'entends la musique depuis l'extérieur, et y'a du monde entassé sur le trottoir devant. Et oui, parce qu'il faut le savoir : quand tu vas dans un bouiboui, tu passes pas ta soirée au bar : tu passes ta soirée sur le trottoir.
Et ce pour plusieurs raisons :

- Y'a trop de monde à l'intérieur, donc ça "déborde" dehors. Au grand dam des voisins qui appellent les flics, ou se contentent de te cracher dessus pour te faire déguerpir de sous leurs fenêtres.

- On ne peut plus fumer dans les bars, il faut donc sortir pour fumer à l'extérieur. Tu sors pour fumer ta clope, un pote suit... tu finis ta clope, un autre pote arrive pour s'en griller une... tu restes avec lui et tu papotes, du coup t'en rallumes une... ton pote a fini sa clope entretemps, mais comme t'en as rallumé une, ben lui aussi... les autres potes à l'intérieur sortent vous rejoindre, et hop : en moins de temps qu'il n'en faut pour finir quelques binouzes, t'as passé ta soirée sur le trottoir.

- La musique à l'intérieur est à un volume sonore beaucoup trop fort, et t'es obligé de t'éloigner - et donc de sortir dehors - pour pouvoir discuter sans beugler.

- La queue pour les toilettes est beaucoup trop longue, le mur du bar dehors ou un petit recoin de bitume feront aussi bien l'affaire.

Résumons : t'as payé, oui oui, payé !, pour passer ta soirée debout sur un trottoir, un verre à la main, une clope dans l'autre, à te geler les fesses ou le bout du gland quand tu vas pisser entre deux voitures.
À ce prix là, autant acheter des packs de bière et des bouteilles chez l'épicier du coin, et aller squatter quelque part avec les copains. Voire chez un copain : après tout, pourquoi se casser le cul à aller dans un bar si on est moins bien posés que chez les potes...

J'en profite pour vilipender (ouais, vilipender, carrément) tous les "bars" (notez les guillemets) où il y a de la "musique" (re-notez les guillemets) : 
* Déjà, c'est pas de la musique : c'est la playlist favorite du patron ou de la serveuse de service. Nuance.
* Et puis c'est PAS des bars : c'est des boites de nuit pour pauvres (et vu le prix qu'ils lâchent dans ces bouibouis, lesdits pauvres feraient tout aussi bien d'aller vraiment en boite), qui crachent une bouillabaisse sonore à travers des amplis tout pourris (ce qui empêche toute communication aisée et agréable entre les gens), sans dancefloor et sans vestiaires.
Bonus pour les clients sur le trottoir : les gyrophares des véhicules de police en patrouille font office de boule à facettes et d'effets lasers. Et en cas de coma éthylique, une bonne décharge de Taser vous requinquera en un rien de temps.

Mais alors, si les bouibouis sont si horribles que ça, pourquoi tout le monde y va ?

Raison n°1 : "Parce que tout le monde y va !"
Oui, c'est très con mais c'est comme ça.
Ces "bars à la mode" qui ne sont en réalité que des bouibouis, on y va... parce que les autres y vont. Alors on suit. Un peu comme dans le sketch de Jamel Debbouze :



Les bouibouis et leur cacophonie caractéristique sont ainsi devenus un genre de lieu de pèlerinage pour tous les refoulés des boites de nuit, de Pôle-Emploi, mais pas seulement : la difficulté de réserver des salles dans une Bourse du Travail pousse aussi de nombreux syndicalistes, militants et gauchistes de tous poils à investir les lieux. L'extrême-Droite aussi a ses bouibouis. Et les gothiques, les étudiants, les punks, les rockabilly, les bobos, les métalleux, les gamers... Autant vous dire que ça en fait, du monde. Et ça en fait, des fidèles de bouibouis.

Raison n°2 : "Parce que j'ai un copain / une copine qui travaille là-bas !"
LA bonne raison, censée être la promesse de quelques verres gratos. Sauf que, une fois sur place, pas du tout : "Ah ben non je peux pas vous offrir de verre, sinon j'vais me faire virer." Prévisible. Mais l'espoir, fusse-t-il vain, est plus fort que tout : on y aura cru jusqu'au bout, en tous cas jusqu'à la fermeture.

Bref, le bouiboui est un officiel attrape-couillons. Mais y'a beaucoup de couillons, et ça les patrons de bouibouis l'ont bien compris.


Le bar - brasserie - bistrot "normal"

Le bar "normal", c'est le bar : bof bof. Ni horrible, ni bien. Propre, "normal", impersonnel.
Pas d'ambiance particulière, tu viens pour boire un verre ou manger sur le pouce, et puis tu te casses. La clientèle est principalement constituée de gens "de passage", il y a peu d'habitués à part quelques voisins ou businessmen occupés à consulter leurs emails ou le journal (à la rubrique de la Bourse).

C'est pas un endroit où tu squattes et tu fais des rencontres, c'est un endroit où tu consommes.
Et d'ailleurs, des panneaux apposés à l'entrée te le rappellent assez vertement, des fois que tu aies oublié : "Les toilettes sont réservés à la clientèle - On ne sert pas de verres d'eau gratuitement - Il est interdit de rester sans consommer - La maison ne fait pas crédit et n'accepte pas les chèques - Chiens interdits" et autres amabilités remplacent l'accueil chaleureux du patron.
On retrouve beaucoup ce genre de bar - brasserie - bistrot "normal" près des gares, des hôpitaux, des entreprises, des lieux touristiques... 

C'est cher, et t'as rien le droit de faire, même pas te bourrer la gueule (un comble). À fuir, sauf si on n'a pas le choix (pas facile de faire la fine bouche quand c'est le seul bar à moins de 50 mètres de l'hôpital où tu séjournes : c'est pas comme si on pouvait facilement faire la tournée des grands ducs quand on trimballe un pied de perf').


Le bar sympa !

La vache !, on n'y croyait plus : les bars sympas ça existe, si si.
Pas facile de les dénicher au milieu de tous ces bouibouis à la mode, mais ça existe.

Mais : c'est quoi un bar sympa ?
Un bar sympa, c'est surtout : un bar où tu peux te poser à une table avec tes potes et discuter. Tout simplement. Et boire comme un trou. Évidemment.
Par "discuter", je veux dire que la musique ou la télé sont soit absentes, soient éteintes, soit à un niveau sonore suffisemment faible pour permettre d'entendre et d'être entendu sans hurler. Un bar sympa, c'est avant tout un bar où tu peux te poser, te bourrer la gueule et discuter, voilà. Et sans être obligé de te battre ou de réserver 72 heures à l'avance pour avoir une table, passer une commande ou aller aux toilettes.

Le bar sympa, c'est donc l'anti-bouiboui : pas de pollution sonore / musicale, pas de dime à payer pour boire sur le trottoir parce qu'il y a trop de monde et de bruit à l'intérieur, pas de surdosage en glaçons dans ton cocktail pour gonfler les bénéfices du patron sur le dos du flot de couillons qui se pressent au comptoir.
Bref, un bar sympa c'est un bar où il fait bon rejoindre ses potes pour passer la soirée à lever le coude et refaire le monde, sans chichis, mais avec le minimum syndical en termes de confort : des tables, des sièges ou des banquettes, personne qui te bouscule comme si y'avait des soldes à - 80% chez Tati Mariage ou une dédicace de Justin Bieber, et un accès aux toilettes et au comptoir qui ne ressemble pas aux épreuves d'immunité de Koh-Lanta.


Un cran au-dessus : le bar très sympa.

Le bar très sympa ressemble au bar sympa, mais avec un truc en plus : des activités.
Le bar très sympa est aux adultes ce que le centre aéré est aux enfants : tu y retrouves tes copains, tu y rencontre des gens nouveaux, et y'a toujours un truc à faire pour t'occuper.

Car on ne fait pas que boire dans un bar très sympa : on joue ! Le bar très sympa abrite en effet de nombreux trésors accumulés au fil des ans par le patron et laissés à la disposition des clients, gratuitement : des jeux de cartes, des jeux de dés, des jeux d'échecs, de dames, des jeux de société... et même des bouquins.

Bref, dans un bar très sympa le patron a compris que les êtres humains sont des animaux sociaux, et il ne manque pas d'aménager le lieu pour que de multiples activités sociales s'y déroulent, et pour que les humains s'y sentent bien : discuter, jouer, communiquer, partager. Et boire, évidemment, puisque c'est un bar. Et manger, parce que les parties de belote et de 421, ça creuse.


Le must : le bar vraiment classe.

Le bar vraiment classe n'est pas facile à repérer, mais il vaut son pesant de détours dans des ruelles apparemment vides. En effet, le bar vraiment classe a sa devanture fermée : pas facile de savoir qu'il est ouvert, donc. Et puis, c'est pas forcément un bar : encore moins facile de savoir que c'est un bar...

Cette devanture fermée abrite un bar simili-clandestin à la clientèle hétéroclite, un genre d'Arche de Noë des alcooliques, des âmes solitaires, des insomniaques et des exclus de la société, le tout emporté par la joie et la bonne humeur du maitre des lieux.
On y trouve de tout : des jeunes, des vieux, des employés, des chômeurs, des sans-papiers, des gens en cavale, des éclopés, des voisins, des inconnus, des chiens, des chats... Le non-initié pourrait confondre l'infâme bouiboui et le bar vraiment classe : que nenni.
L'infâme bouiboui est glauque ; le bar vraiment classe est joyeux.
Le patron de l'infâme bouiboui est un odieux connard qui exploite souvent sa clientèle en étant aussi "marchand de sommeil" ; le patron de bar vraiment classe, lui, te dépanne d'un billet quand t'as pas de quoi manger.
L'infâme bouiboui est d'une dégueulasserie sans nom ; dans le bar vraiment classe, certes on ne peut pas manger par terre, mais ça reste vaguement propre.
La clientèle de l'infâme bouiboui va tôt ou tard te dépouiller ou te vomir dessus ; la clientèle du bar vraiment classe va te payer des coups et, éventuellement, te dormir un peu dessus ^^ Parce que le patron de bar vraiment classe est bienveillant, et te laisse rarement repartir bourré : on cuve et on dort parfois sur place.

Le bar vraiment classe, c'est un peu comme le camping, les tentes en moins : tout le monde connait tout le monde, même si en arrivant on ne connait personne, et c'est perpétuellement l'heure de l'apéro. On chante, on rigole, on boit des coups pour oublier ceux que la vie nous a mis : c'est pas le paradis ?!

Le bar vraiment classe doit son appellation à une autre de ses spécificités, et non la moindre, laquelle explique notamment sa devanture fermée : tu peux y fumeeeeeeer ! Oui !, un bar où tu peux fumer ! Pas de loi Évin pour te faire chier ! Pas de soirée passée sur un trottoir à te geler les miches ! Et ça putain, ça... un bar où tu peux fumer quoi !, c'est vraiment classe.


Hors-concours et inclassables : le bar traditionnel et le bar portugais.

Le bar traditionnel, c'est un bar, un vrai, à l'ancienne, ambiance "petit bar de village", avec un patron qui tient son commerce depuis des lustres, une équipe d'employés qui y bosse depuis des lustres, et une clientèle d'habitués fidèles au poste depuis des lustres aussi.

La caractéristique fondamentale du bar traditionnel c'est : la convivialité et l'accueil chaleureux du patron, ou de la patronne, et des habitués. C'est le genre de bar où tu atterris par hasard - en faisant halte sur une nationale pour esquiver les péages d'autoroute, ou en cherchant le premier café ouvert après une soirée concert - en te disant que tu vas juste te prendre un café, pisser un coup et te barrer. Et puis, tu sais pas trop comment, la demie-heure que tu avais prévu d'y passer se transforme finalement en demis tout court.

À peine as-tu franchi le seuil que le manège enchanté des habitués est lancé : tout le monde paye un coup à tout le monde, toi y compris, et puis de fil en aiguille et de demis en pastis.... tu fraternises avec tous ceux qui sont là, et à la fin de la matinée tu connais déjà la vie et les habitudes de chacun : untel passe son temps au bar depuis qu'il a divorcé ; untel depuis que son usine a fermé ; untel vient se poser tous les jours à la même heure en promenant son vieux chien au poil hirsute et à la démarche boiteuse, lequel a d'ailleurs à disposition sa propre gamelle au bar ; les gosses viennent manger des glaces pendant que leurs mères célibataires papotent, y'a toute la clique des vieux retraités imbattables à la belote, la tribu des accros au PMU, les voisins et commerçants des environs qui passent dire bonjour, et puis, obligé : LE personnage du coin.
LE mec, ou la meuf, avec trois grammes dès dix heures du matin.
Qui te raconte sa vie et sa descente aux enfers tous les jours, à toute heure, ayant complètement oublié qu'il te l'a déjà racontée 28 872 fois à cause de son début d'Alzheimer ou des lésions neurologiques causées par l'alcool. Le seul qui a le droit d'être ultra-bourré et d'insulter tout le monde en pétant son câble, sans que personne lui en veuille jamais ^^ Celui ou celle qui connait l'histoire de la ville ou du village par cœur, quitte à la réinventer sous le regard amusé et bienveillant des autres habitués "qui-savent-bien-que-c'est-pas-vrai-mais-c'est-pas-grave-si-ça-peut-lui-faire-plaisir"...

Le bar traditionnel, c'est cette ambiance villageoise, familiale, un peu rude, souvent vulgaire, simple et bonne comme un steak-frites. Comme l'amitié.

Le bar portugais quant à lui ressemble énormément au bar traditionnel. Sauf que les gens y parlent beaucoup plus fort ^^
Même ambiance conviviale, même cuisine familiale, même esprit jovial, même hospitalité, même rudesse qui cache un cœur d'or martelé par les aléas de la vie d'ouvrier, de paysan ou de petit artisan.
Certains clients te regardent parfois de travers quand tu arrives... mais c'est pour mieux te taper dans le dos en te payant un coup quelques minutes plus tard. Et puis si tu sais jouer à la belote ou à "a sueca" et apprécier le vin rouge montagnard accompagné d'un bon sauciflard, le bar portugais est the place to be. Si.


---
"L'alcool est blanc mais rougit le visage, l'or est jaune mais noircit le coeur."
Proverbe chinois

"Tu noies tes chagrins dans l'alcool ? Méfie-toi, ils savent nager."
Yves Mirande