lundi 22 août 2011

Clin d'oeil aux anars dans L.A. Noire

Dans bon nombre de jeux vidéo, les références culturelles ou historiques se limitent à : "il faut combattre les méchants soviético-communistes-terroristes-nazis-à-la-solde-d'islamistes-rebelles-menaçant-la-patrie".
Donc bon, effectivement, ça pisse pas loin.

Quelle ne fut pas ma surprise - que dis-je - mon trouble, mon émoi, ma joie !, lorsqu'en jouant à L.A. Noire et en fouillant le vestiaire d'un personnage, je suis tombée sur ça :








"Lorsque l'ignorance règne dans la société 
et le désordre dans l'esprit des hommes,
les lois sont démultipliées, la législation est supposée tout réguler,
et chaque nouvelle loi représentant une nouvelle erreur d'appréciation,
les hommes sont constamment enclins à en attendre 
ce qu'ils ne devraient attendre que d'eux-mêmes,
de leur propre éducation et de leur propre sens moral."


WATCHA !
Du Kropotkine dans un jeu vidéo !
Oh joie, oh allégresse ! Voilà les studios Rockstar qui font un clin d'oeil aux anars.

Rockstar aurait pu choisir bien d'autres références : l'histoire de L.A. Noire se déroulant en 1947 - soit au début de la fameuse ère de "la chasse aux sorcières" (1946-1954) - et la "chasse aux sorcières" ayant principalement visé les communistes et les syndicalistes, les studios Rockstar auraient très bien pu choisir la facilité et sélectionner un texte communiste basique ; du Lénine ou du Marx.
Que nenni !
Ils ont choisi un texte de Pierre Kropotkine, anarchiste.

Pierre Kropotkine. Non, ce n'est pas le Père-Noël. Certes, la ressemblance est édifiante.

Et pas n'importe quel texte : La Loi et l'Autorité, texte publié initialement dans le journal Le Révolté, en 1882. Le choix de l'extrait est plutôt judicieux car il questionne la légitimité et la nature de concepts tels que la justice et les lois, la société et ses institutions, ces mêmes concepts étant questionnés par le personnage que l'on incarne dans L.A. Noire, à savoir Cole Phelps, un policier en proie à quelques doutes existentiels.

L'extrait de La Loi et l'Autorité que l'on peut lire dans L.A. Noire correspond au tout début du texte de Pierre Kropotkine.
En voici le texte original :
"Quand l'ignorance est au sein des sociétés et le désordre dans les esprits, les lois deviennent nombreuses. Les hommes attendent tout de la législation, et chaque loi nouvelle étant un nouveau mécompte, ils sont portés à lui demander sans cesse ce qui ne peut venir que d'eux-mêmes, de leur éducation, de l'état de leurs mœurs."

D'ailleurs, sachez que ce n'est même pas Kropotkine qui a écrit ceci.
Dans son texte, Kropotkine cite Désiré Dalloz, fondateur des éditions Dalloz que les juristes connaissent bien (les éditions Dalloz sont depuis toujours spécialisées dans la publication de textes et ouvrages juridiques, notamment le Code Civil, le Code Pénal...)

Rendez vous compte : c'est donc un juriste - et même pas un affreux vilain et sale gauchiste - qui a écrit ces phrases d'une rare clairvoyance. Et cela, dès la fin du 19ème siècle.
Pourtant, nous voilà au début du 21ème siècle, et il semble que l'humanité n'ait toujours pas beaucoup avancé sur le chemin de ces saines réflexions.

C'est que l'espèce humaine est une espèce intelligente, mais un peu longue à la comprenette faut bien l'admettre.


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"Être progressiste consiste à lancer des pavés. Être anarchiste consiste à les envoyer le plus loin possible."
Anonyme, affiche de Mai 68

jeudi 11 août 2011

Sangliers empoisonnés en Bretagne : algues vertes ou tueur en série ??

Je vous en parlais il y a peu dans ce billet, la découverte du cadavre de cinq marcassins et d'une laie sur les plages bretonnes venait s'allonger à une longue liste d'animaux déjà retrouvés morts dans le même secteur.


En tout, 36 sangliers (jeunes et adultes) ont péri dans l'estuaire du Gouessant (Côtes d'Armor) au cours du mois de juillet 2011, ainsi que d'autres bestioles comme un ragondin.

En cause : les "marées vertes", une accumulation anormale d'algues qui aiment les eaux bien chargées en nitrates. Or, la Bretagne voue une véritable adoration aux nitrates : agriculture et élevages intensifs aidant, cette région est pleine de nitrates, elle déborde de nitrates, elle suinte de nitrates !, elle en dégouline même - jusqu'aux fleuves et rivières, finissant par inonder les rivages.

Marée verte - toxique

Autre type de "marée verte" - non toxique

Nous voilà donc avec une eau bien chargée en nitrates, comme les algues vertes l'aiment tant.
Et comme elles sont contentes les algues vertes ("c'est l'étéééé, y'a plein d'nitraaates !, youhoooouuu !!"), elles font la fête et se reproduisent à outrance (car les algues mettent rarement des préservatifs, c'est comme ça).
Et après, qu'est-ce qu'elles font ?!
Après leurs beuveries en nitrates et leurs nuits d'orgie, ivres mortes, les algues vertes viennent cuver sur les plages. Et c'est là que ça se gâte.
Car elles ne supportent pas le soleil, et meurent lentement. Durant le long processus de putréfaction, les algues vertes produisent un jus noirâtre et nauséabond, rempli de substances toxiques qui empoisonnent la plupart des animaux (humains y compris, car aux dernières nouvelles l'être humain n'est ni un minéral ni un végétal mais bien un animal - c'est toujours utile de le rappeler), comme le méthane, l'hydrogène sulfuré, l'ammoniac...


C'est depuis la mort d'un cheval et le malaise de son cavalier sauvé in extrémis, en 2009, que le danger des algues vertes est - vaguement - pris au sérieux.
Vaguement, car la source du problème (la pollution aux nitrates, les engrais azotés) étant d'origine économique (produire plus pour gagner plus, quitte à polluer plus et tuer plus), vous vous doutez bien que ça se bouscule pas aux portillons des ministères et des PDG de l'industrie agro-alimentaire pour régler le problème...
Car pour régler le problème il faudrait produire moins, mieux, et dépolluer les sites.
Et, tout ça, ça coûte cher.
Et, comme vous l'aurez probablement remarqué, les êtres humains sont la seule espèce animale qui préfère mourir (ou faire mourir les autres, hein) plutôt que d'accepter une baisse de ses profits.

À la suite de la "découverte" des dangers mortels des marées vertes, le gouvernement s'est lancé dans un "plan de lutte" : mais une lutte molle hein, une lutte pas très dynamique quoi, un communiqué de presse en somme, quelque chose comme "Ouh la la, ça a l'air dangereux les algues vertes !, et ça pue en plus ! On va faire quelque chose hein, mais en douceur : il faudrait pas affoler les producteurs bretons (et l'économie locale)."
Ils ont ensuite gardé leurs rapports toxicologiques sous le coude (probablement pour faire semblant de travailler dessus), et ont attendu (attendu quoi ? le retour de la Comète de Haley, un signe du Destin, que sais-je...?!).


Naaan mais je suis méchante, les "autorités publiques" n'ont pas rien fait.
Elles ont organisé le ramassage des algues vertes, au tractopelle. Après, les algues vertes sont stockées (et quelque chose me dit qu'il vaut mieux pas savoir où...) et peuvent continuer à se décomposer en exhalant des substances toxiques : si c'est pas un super plan, ça.
Et comme on ne supprime pas la source du problème, les algues vertes reviennent et reviennent, les tractopelles ramassent et ramassent... Bref, une idée de génie - Sisyphe aurait adoré le concept.
(le pire, c'est qu'il y a des gens qui sont payés pour avoir ce genre d'idées... et oui.)

L'arme fatale du gouvernement contre les marées vertes : Bob le Bricoleur et son tractopelle.

Ramasseur d'algues vertes, un métier d'avenir ! Ce petit d'homme l'a bien compris et s'entraîne déjà.

Et nous voilà en juillet 2011, une inexplicable hécatombe de mammifères sur les plages bretonnes laisse planer le doute sur la responsabilité des algues vertes.
"Meeeerde" se disent les conseillers en comm' de nos élus, "va falloir changer de stratégie". Utiliser les rapports toxicologiques pour coincer le pied d'un bureau bancal ne suffit plus, et faire danser les tractopelles sur les plages non plus !

Voilà le gouvernement, les élus locaux et les habitants et agriculteurs du coin sacrément embêtés, coincés le cul entre deux chaises :
* si on supprime / atténue la source du problème (la production intensive), c'est l'industrie agro-alimentaire qui va trinquer ;
* si on protège l'industrie agro-alimentaire, la pollution continue et c'est le secteur du tourisme qu'on condamne (en plus de l'environnement et de la santé publique, of course).

Je fais confiance aux Oracles du Libéralisme, qui dans leur grande sagesse sacrifieront probablement la moins rentable des deux filières ; et puis une directrice d'hôtel énervée par la chute du tourisme et son armée de grooms, ça reste moins dangereux à gérer qu'une horde de paysans bretons en colère.
De deux maux, il faut choisir celui qui compte le moins de fourches : comme disent les exilés fiscaux et les responsables politiques, "Courage, fuyons."


Et l'environnement ? La santé publique ?
Mais on s'en fouuuut, rôhlala c'qu'on s'en fout !

D'ailleurs, la plupart des agriculteurs et des éleveurs ne croient pas du tout à la responsabilité des algues vertes, et ils croient encore moins à la leur, de responsabilité.
Je cite : "Rapidement avancée par les écologistes et des chercheurs mais récusée par les représentants agricoles, l'hypothèse d'un empoisonnement dû aux algues en décomposition n'avait jusqu'à présent été envisagée qu'avec beaucoup de prudence par les autorités."

Qu'on se le dise : pour les paysans bretons, le sulfure d'hydrogène (H2S) c'est pas dangereux, et la production intensive c'est pas un problème.


(non mais faut pas en vouloir aux paysans bretons hein, si ils disent ça c'est parce qu'ils sont trop exposés à ces gaz, justement : "Cette exposition peut provoquer une amnésie, avec diminution des facultés intellectuelles". Sans parler de la toxicité des pesticides sur le cerveau. Et voilà, tout s'explique.)


Alors ok, admettons.
Imaginons que les agriculteurs et la filière agro-alimentaire aient raison, et que les algues vertes n'y soient pour rien.
Mais... qu'est-ce qui a tué 36 sangliers et un ragondin au mois de juillet 2011 alors ??
...
...
... ??!
Sûrement un tueur en série. Ben si, c'est logique.

Les tueurs en série sont souvent des personnes très intelligentes (c'est ce que disent les profilers d'Esprits Criminels, si), il n'est donc pas exclu qu'un psychopathe vouant une haine farouche aux sangliers et aux ragondins arpente les plages bretonnes pour assouvir ses pulsions meurtrières, armé d'une seringue hypodermique remplie de sulfure d'hydrogène pour faire croire que c'est la faute aux algues vertes et maquiller ses crimes.
Ou alors c'est un ancien employé de l'industrie locale, licencié et assoiffé de vengeance, qui tue toutes ces bestioles pour faire porter le chapeau à l'industrie agro-alimentaire. Que c'est fourbe, tssss.

Quoi qu'il en soit, pour le tourisme local, la piste d'un serial-killer arpentant les plages pour empoisonner des sangliers n'est pas une meilleure nouvelle que celle de la toxicité des marées vertes.
Mais c'est une sacrée aubaine pour l'industrie agro-alimentaire !
Pas besoin de revoir les systèmes de production, pas besoin de se remettre en question, pas besoin de payer la facture du nettoyage et de la dépollution... ouf, on l'a échappée belle !

Trinquons pour fêter ça.

Ce cocktail vous est offert par l'Amicale des Paysans Bretons Azotés. Santé !


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"Le profit de l'un est le dommage de l'autre."
Montaigne

"L'honneur et le profit ne couchent pas dans le même lit."
Miguel de Cervantès, extrait de Nouvelles exemplaires


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Sources :